La fin de l'histoire
et ses « idiots utiles »
Bien que ce soit de plus en plus difficile pour le public occidental, progressiste par nature, et très bien informé comme chacun sait, de comprendre ce qui se passe dans les ténèbres extérieures du monde qui nous entoure, il s'avère assez simple de s'en informer en bravant la censure que nos "libres penseurs", "hackers" du monde libre, ont mise en place pour protéger nos foules sentimentales des menées totalitaires odieusement perpétrées par les suppôts du nouveau Raspoutine "décommunisé".
Comment comprendre, par exemple, que pour les hordes de barbares totalitaires qui menacent le saint Empire Libéral Atlantiste depuis leurs steppes gazières désolées d'Asie centrale l'Histoire ne soit pas encore finie ?
Et pourquoi cet acharnement à vouloir la recommencer à nos dépens ?
Comment ces populations derrière lesquelles se rangent aujourd'hui "le reste du monde", naguère encore dûment et paisiblement policé : Chinois, Indiens, Levantins, Africains, Latino-Américains, et tant d'autres, comment donc peuvent-elles se laisser berner et entrainer dans la subversion du Monde Libre, comment peuvent-ils tous contester "nos valeurs"* et même les combattre par la seule volonté d'un paranoïaque délirant de haine et honni par son peuple ?
* y compris boursières.
Cette énigme quasiment éristique pour notre appareil idéologique bienveillant, vient comme ultime rebondissement à la fin de cette Histoire . Une Histoire qui peut se résumer à un feuilleton impérialiste libéral, promis par ses "show runners" à un happy end durable et soutenable. Il est donc intéressant et instructif d'observer, dès lors que ça redevient possible, ce qui se passe dans la tête de ces barbares ignorants.
Pourquoi George Soros et Francis Fukuyama
sont « les idiots utiles de Poutine »
Un débat surprenant se déroule en Occident – ils se disputent sur l'appel du président français Emmanuel Macron à "ne pas humilier la Russie".
Le point captieux ici n'est pas que la question elle-même est ridicule - d'une manière générale, l'Occident ne peut pas en réalité humilier notre pays. Vous ne pouvez humilier quelqu'un qui dépend de vous et avec qui vous avez, sinon des "valeurs", du moins un système "commun". Or, on ne peut rien observer de tel aujourd'hui entre la Russie et ces pays.
Non, les réponses à Macron – et Hillary Clinton a été la dernière à soulever une objection, affirmant que cette étape est déjà passée – sont révélatrices du fait que lui et plus encore les "compétiteurs" qui s'opposent à lui (et souhaitent humilier la Russie) vivent dans un univers parallèle. Ils n'y sont donc même pas confrontés à la question de savoir s'il est possible pour la Russie de gagner, car ils "savent déjà" qu'elle va perdre, ou même qu'elle a déjà perdu (depuis plus de 30 ans), au moins "symboliquement" (d'où l’humiliation qu'elle subit nécessairement) et ils ne se soucient que de savoir dans quelle mesure elle a été vaincue, et dans quelle mesure elle peut et doit être ... humiliée.
Il n'y a pas que les politiciens qui en parlent, au coeur de l'Empire Moral, dans la Nation d'Exception, il y a aussi les leaders d'opinion comme le philosophe américain Francis Fukuyama*.
* NdT : En France, depuis que nous nous sommes émancipés de notre atavisme "gaullo-communiste" nous avons appris à nous satisfaire de phares de la pensée plus accessibles, tels BHL , Buisson, Todd, Onfray , Hulot, Hanouna et JLM.
Sa dernière interview avec Die Welt en Allemagne est un exemple de compilation de telles déclarations. Il est devenu célèbre en 1989 pour avoir prophétisé "la fin de l'histoire" et l'avènement d'une ère de marche triomphale de la démocratie libérale (c'est-à-dire littéralement toutes les nations du monde s'alignant sur l'Occident vers l'avenir radieux d'une humanité unie). Pour lui, il s'avère que faire des déclarations spéculatives et autodestructrices est une habitude. Et maintenant Fukuyama, qui, soit dit en passant, est très aimé à Kiev et a même été récemment embauché comme consultant par le Conseil national pour le redressement de l'Ukraine, coule à nouveau ses formulations politiques dans le bronze.
Le premier d'entre eux, cependant, a été révélé en mars, peu de temps après le début de l'opération militaire russe. À l'époque, le professeur a déclaré:
« Je pense que nous avons tous intérêt à soutenir [le combat de Kiev] parce que l'ordre démocratique libéral au sens large est vraiment ce qui est en jeu dans cette guerre actuelle. Ce n'est pas une guerre qui ne concerne que ce pays, l'Ukraine. C'est vraiment la tentative de faire reculer toute l'expansion du domaine de la démocratie libérale qui a eu lieu après 1991 et l'effondrement de l'ex-Union soviétique.»
Ainsi, il essaie maintenant de nous dire que le triomphe du libéralisme n'est plus un fait accompli. Le problème est que les Russes essaient simplement de défaire «l'inévitable», de remonter le temps et que l'Occident devrait se battre avec eux, gagner (par le biais de ses mandataires ukrainiens) et ensuite remettre l'humanité sur le droit chemin de l'histoire... dont ils sont malencontreusement sortis - sans doute par une de ses "failles du continuum spatio-temporel" chères à ses feuilletonistes de science-fiction.
Début juin, Fukuyama était déjà convaincu que tout allait bien, que la Russie était pratiquement vaincue et qu'un nouvel ordre mondial arrivait (ou plutôt revenait) :
« Oui. Ce nouvel ordre prend forme. C'est le résultat de plusieurs années de lutte du camp démocrate occidental contre les régimes autoritaires, principalement contre la Russie et la Chine. Cette guerre est l'aboutissement de ce processus. La Russie se dirige vers une déroute. Elle a déjà subi une série de défaites sur le champ de bataille et est maintenant sur le point d'être chassée du Donbass par l'armée ukrainienne. C'est une véritable catastrophe pour Poutine. Il s'avère être juste un chef de mauvaise qualité. Et pas seulement en tant que chef de guerre : c'est aussi une débâcle politique complète.»
Il a poursuivi :
« L'OTAN va certainement s'étendre en intégrant la Suède et la Finlande. Cela faisait longtemps que l'Occident n'avait pas été aussi uni. L'Allemagne a reconsidéré son Ostpolitik des 40 dernières années et fournit à l'Ukraine des armes lourdes. Les États-Unis ont réaffirmé leur rôle de chef de file dans le monde, qui a été perdu sous [l'ancien président Donald] Trump. L'Occident aide massivement l'Ukraine… La Russie aura bien du mal à sortir de ce gouffre dans lequel elle est tombée. Elle sera exclue de l'ordre mondial international comme la Corée du Nord.»
Si vous pensez que l'optimisme de Fukuyama est complètement déconnecté de la réalité, vous ne comprenez tout simplement pas sur quoi il repose. Car le professeur a une vision holistique du président russe :
« Poutine gouverne seul, sans aucune contrainte, et il est coupé des informations et des conseils d'experts. Il vit dans un monde de ses propres délires. L'Ukraine en est un exemple. Tout ce dont il s'est convaincu sur le sujet est faux, mais il s'accroche fermement à ces illusions parce qu'il a créé la domination d'un seul homme. De plus, il a clairement des problèmes mentaux. C'est une personne paranoïaque. Il n'écoute personne et est guidé par des fantasmes. Cependant, c'est une menace courante dans tout pays autoritaire... »
Bien sûr, c'est exactement ce qu'ici nos propres "combattants anti-régime" russes, dont la plupart sont maintenant partis à l'étranger, disent depuis des années : Poutine est tout simplement un dictateur paranoïaque. Lors de ses nombreux voyages à Kiev ces dernières années, Fukuyama a dû beaucoup se faire dire cela par ses amis ukrainiens et nos « émigrés politiques ».
Comment ne pas croire des gens aussi informés, qui partagent les mêmes idées, quand ils parlent du « triomphe du libéralisme » ?
Le seul problème est qu'une telle "compréhension" n'a rien à voir avec la discipline de la science politique - que Fukuyama, nous assure-t-on, représente. Croire que Poutine « a attaqué l'Ukraine » parce qu'il est « paranoïaque et coupé de l'information » n'est pas une approche très plausible, du moins d'un point de vue académique.
Peut-être Fukuyama préférera-t-il abandonner les tabloïds pour commencer à étudier sérieusement l'histoire de la Russie, la situation de ses relations avec l'Occident, les processus géopolitiques modernes et les tendances générales qui s'y dessinent. Mais peut-être juge-t-il que des trucs aussi basiques sont indignes des capacités d'un professeur de Stanford, et continuera de s'adonner aux commérages formatés plutôt qu'à l'érudition scientifique.
Néanmoins, pourquoi devrions-nous nous soucier de Fukuyama et de sa prochaine prophétie ? Il y a deux raisons à celà.
Premièrement, nous voyons la transformation d'un professeur - autrefois salué par l'Occident comme un oracle et un philosophe influent - en un propagandiste banal : méconnaissant son sujet et le cours de l'histoire à laquelle il prétend donner un sens.
Malgré tout cela – et c'est le deuxième point – Fukuyama reste pour l'Occident une autorité et un penseur avec des réponses aux questions importantes. Cela signifie que des aveugles y conduisent les paralytiques.
C'est exactement ce que c'est. George Soros, Fukuyama et d'autres gourous de la mondialisation des années 1990 sont toujours sollicités - pas tant par le public que par ceux qui définissent le discours, les gens qui façonnent l'agenda de l'Occident.
C'est à la fois un très mauvais et un très bon signe, d'un point de vue russe. Mauvais, car cela montre la faiblesse des compétences réelles et de la masse intellectuelle dont disposent les décideurs du monde atlantique.
La force – et c'est une force énorme – est toujours là, mais les niveaux d'intelligence ne sont pas à la hauteur. Cependant, dans une situation de conflit et de tension accrus, cette combinaison ne réduit pas, mais augmente au contraire, les risques qu'un scénario conflictuel se transforme en conflit ouvert.
Le bon signe, en revanche, c'est qu'une mauvaise compréhension de la Russie, des choses qui comptent vraiment pour nous et de nos objectifs stratégiques - combinée à des élites pariant sur notre défaite - travaille pour nous dans l'ensemble. Ainsi, les véritables "idiots utiles de Poutine" (comme l'Occident aime appeler les partisans d'un dialogue honnête avec la Russie) ne sont certainement pas l'ancien chancelier allemand Gerhard Schroeder et l'ancien dirigeant italien Silvio Berlusconi, mais plutôt Soros et Fukuyama.
Par Petr Akopov, RIA Novosti
Dossier pédagogique :
Le Centre de recherche sur l'énergie et l'air pur (CREA) a publié un graphique intéressant montrant la dynamique des importations de ressources énergétiques fossiles de la Fédération de Russie par différents pays au cours des 100 jours de l'opération spéciale russe en Ukraine.