« Le “média citoyen” ou la médiAcrité branchée »
« Je sais que beaucoup diront que c’est le média de Mélenchon, mais ce n’est pas le cas. »
Sophia Chikirou
Cheftaine de la propagande de Baudruchon
J’ai subi il y a peu une rude et longue (2h46) épreuve. Mais avec le plaisir quasi masochiste de me voir conforté dans l'idée que l'ennemi n°1 à affronter avant qu’il arrive au pouvoir pour prendre le relai du Jupiterien Micron à la tête de l’État bourgeois, éventuellement recyclé en VIème République, n’était autre désormais que Baudruchon secondé par sa clique d’insoumis autoproclamés. Car il n’y a rien à attendre de cette bande de guignols sinon une resucée « écolo-citoyennisée » de la défense de « l’ordre social républicain » dont ils se veulent les fidèles garants soit une version renouvelée de cette deuxième droite qui « alterne » au pouvoir avec la première depuis bientôt quarante ans. Faut-il dès lors attendre qu’ils parviennent à atteindre leurs fins gouvernementales avec notre « soutien critique », comme d’aucuns le préconisent, avant de gémir en voyant leurs espérances — leurs illusions, en fait — une fois de plus trahies ? Mieux vaut essayer de river un peu leur clou à ces imposteurs, ne serait-ce, à défaut d’autres armes, qu’en faisant pleuvoir sur eux un feu roulant de saillies marxistes-burlonistes politiquement étayées.
J'avais déjà pris les devants avec ma récente chronique tropicale sur « le citoyennisme en marche » à partir de l’appel à appuyer la mise sur orbite d’un nouveau « média citoyen », publié dans L’ImMonde et signé par quelques sommités des bas-fonds de l’intelligentsia dite progressiste1. Or, j'ai vu ce que cela pouvait concrètement donner en « visionnant », comme disent les you tubers, vidéastes et autres « stars de la toile»[sic] associés à cette opération, lors de la soirée de lancement2. Ce fut un festival d'autosatisfaction enjouée pour ravis de la crèche citoyenne réenchantée avec plaisanteries convenues entre bobos branchés soucieux, disaient-ils, de mettre fin au conformisme politique des médiacrates… en prenant leur succession. C'est à qui ferait assaut de manque d'imagination avec les poncifs consensuels qui en tiennent lieu, pour se poser en « alternative collaborative » à une désinformation pilotée par 9 des capitalistes du CAC 40 et leurs éditorialistes vassalisés.
Les duettistes censées « animer » sur le mode farcesque le début de l'émission pour attester la nouveauté, l'originalité et la non conformité du « média citoyen » en gestation ont donné une idée de ce qui allait suivre, battant des records d'imbécilité exhibitionniste et auto-satisfaite à rendre jaloux Laurent Ruquier.
Il semble, au vu de cette prestation débile, qu’il arrive au féminisme bobo dont les deux péronnelles étaient des prototypes caricaturales ce qui est déjà arrivé au socialisme bobo et au radicalisme bobo : parvenir à un état avancé de décomposition politico-idéologique ne pouvant que faire le jeu de la droite traditionnelle, y compris la plus «réac». Mais ne n’était là qu’un hors-d’œuvre.
Au poste de commande de ce show, officiait, comme il fallait s’y attendre la sémillante Sofia Chikirou, la mentor ès « communication » du Führer des Insoumis, et l’infatigable chauffeur de salle attitré de ce dernier tout au long sa campagne électorale, un dénommé Guillaume pour qui la démagogie infantilisante et sans frontières à l'adresse du bobotariat n'a plus de secrets —
l’une de mes connaissances mal intentionnée et bien sûr médisante l'appelle « Guillaume le conquérien ». J’ai pu voir aussi défiler une partie du gratin de l’insoumission d’opérette. Poil de carotte Quattenens et le clownesque Ruffin étaient bien entendu de la fête, ainsi que l’incontournable Gérard Miller, l’un des maîtres d’œuvre de l’opération, qui prétend être « proche des Insoumis sans en faire partie ».
« Ça ne sera pas télé-Mélenchon !», clamait-il dans l’émission « C à vous » sur France 5 à l’infâme Patrick Cohen. Mais il semble que le documentaire qu’il avait tourné à la gloire de « l'homme qui avançait à contre-courant », diffusé sur France 3 en pleine campagne présidentielle de Baudruchon, qui pourrait aisément rivaliser avec les films de propagande staliniens à l’époque du culte de la personnalité, ne suffise pas à l’ancien dirigeant soixante-huitard de la Gauche soi-disant prolétarienne.
Minaude Lancelin ne pouvait pas non plus ne pas être là, et était effectivement présente mais avec un air renfrogné, sans doute irritée par une autre Aude, Rossigneux de son nom, dont l’arrogance bavarde retardait le moment où elle pourrait prendre la parole. Journaliste passée par ces modèles de médias dissidents que sont entre autres, Le Point, L’Express et i-Télé — devenue C news de Bolloré —, cette médiacrate sera chargée de cornaquer le 20h de la nouvelle chaîne dont elle se plaît à définir la ligne de manière imparable dans les interviews qu’elle accorde sans compter aux journalistes de marché : « Ce média est citoyen parce qu’il défend une certaine idée de la citoyenneté et appartient aux citoyens ».
Quels citoyens ?
Les dizaines voire les centaines de milliers de souscripteurs attendus qui financeront la chaîne, baptisés « socios » en l’occurrence, néologisme d’origine espagnole dont la polysémie (« associé », « partenaire », « membre », « pote ») aux connotations égalitaires servira à masquer, comme c’est déjà le cas, le fait que parmi cette foule de citoyens, il y en aura certains, une minorité, qui seront plus « socios » que d’autres. Quelle « idée de la citoyenneté » ? Celle qui traîne dans les manuels de droit et de « sciences politiques », serait-on tenté de répondre. Mais, bien que cette réponse soit globalement juste, ce serait néanmoins là une facilité qui sous-estimerait les efforts des têtes pesantes qui entourent Mélenchon et du leader lui-même pour renouveler et enrichir la signification de ce terme archi usé et galvaudé. Nous remettrons cependant à plus tard la confection d’un lexique sous la forme d’un abécédaire permettant de bien saisir la subtilité innovatrice de cette «novlangue» citoyennsiste et des principaux « éléments de langage » qui la constituent, étant entendu que cette dernière expression devrait elle-même faire au préalable l’objet de quelques considérations critiques vu la vogue dont elle bénéficie depuis quelque temps dans le milieu médiatique. Mais, revenons à cette soirée formidable.
J’ai pu voir également se pointer Noël ma Mère et sa moustache de ringard escrologiste, plus donneur de leçons d’indépendance que jamais, suivi d’une kyrielle de fringants arrivistes de la nouvelle génération dont les réseaux soi-disant sociaux assurent la promotion. L’apparition du « critique des médias » Henri Maler, vieux routier de l’extrême gauche trotskiste devenu le gourou d’Acrimed, m’a cependant quelque peu surpris. Lui aussi feignait de croire que le nouveau média citoyen pouvait mettre fin au règne des « nouveaux chiens de garde » de la « pensée unique » alors qu’il ne fera que s’ajouter à la liste en remplaçant ladite pensée par une autre, le citoyennisme, encore plus pernicieuse puisque affublée d’un label « degôche » humaniste, altermondialiste, écologiste, antiraciste, féministe, etc.
On aura reconnu dans tous ces vocables répétés à satiété les éléments de langage (voir plus haut) favoris dont Baudruchon truffe ses discours. Malgré ses dénégations et celles des personnes, « insoumises » ou non, les plus activement impliquées dans le lancement du nouveau média, ils attestent que celui-ci trouve sa raison d’être principale sinon unique dans une stratégie d’enfumage visant à le faire apparaître comme l’homme providentiel c’est-à-dire présidentiel « degôche » — bien qu’il récuse de temps à autre le clivage droite gauche, périmé selon lui — susceptible de redonner des couleurs, bleu-blanc-rouge mais certainement pas rouge, à notre démocratie exsangue en perdition. Il n’est que de voir bien qu’il cherche à être invisible le rôle clef joué par un des initiateurs du projet, Sébastien Vilgrain, l’un de ces capitalistes qui ont mis la main sur les médias, honnis par les « Insoumis ». Issu d’une dynastie de bourgeois qui ont fait fortune dans la minoterie, il est le patron d’une société de production audiovisuelle, LCTVI (« Les Chaînes TV interactives ») où la France insoumise figure en bonne place parmi ses « références clients ». Comme média censé « faire échapper l’information aux puissances d’argent », ainsi que le souhaite l’urgentiste Patrice Pelloux, signataire en vue, lui aussi, de l’appel à le financer, on a fait mieux !
Il est toutefois difficile de faire mieux, en ce domaine comme dans d’autres, compte tenu de l’appartenance de tout ce beau monde à une petite bourgeoisie intellectuelle dont les ambitions politiques ne peuvent plus depuis déjà longtemps aller au-delà de ses possibilités historiques, conformes à la fonction que lui impartissent les rapports de production capitalistes, d’agent dominé de la domination capitaliste. « Classe moyenne », « classe médiane », « classe intermédiaire », « classe médiatrice », c'est avant tout et surtout d'une classe politiquement médiocre que le « média citoyen » sera le relai médiatique. Citoyennisée, la deuxième droite « nouvelle vague » telle qu’elle se profile aujourd’hui sur le média qu’elle fera sien autorise à détourner la célèbre déclaration d'un éminent dirigeant de la vague précédente, le « socialiste » Guy Mollet.
Il y a tout lieu de prévoir que nous allons avoir la gauche « la plus bête du monde », car à la bêtise s’ajoutera la prétention à être autre chose que ce qu’elle est.
Jean-Pierre Garnier
2 Le Média : Soirée de lancement [Live] 11 octobre 2017